Anne nous raconte son parcours
C’est l’accueil d’un jeune nouveau venu, lors de notre dernière réunion AA, qui m’a amenée pour la première fois à dire mon vécu par rapport à l’alcool, en reconnaissant l’ampleur de ce problème. Aujourd’hui, j’ai besoin de l’écrire, pour aller plus loin, pour redécouvrir mon histoire de vie sous l’angle de l’alcoolisme. En effet, la participation aux réunions AA m’a permis de comprendre progressivement combien l’alcool, sans que je ne m’en rende compte, a pris la maîtrise de ma vie. Dans les difficultés que je traverse aujourd’hui, dans ma quête identitaire, je ne peux plus en faire abstraction.
Mes premiers souvenirs remontent au début de l’école primaire. A cette époque, le dimanche midi était jour de fête. Dans ma famille très catholique, nous allions à la messe. Je m’arrangeais pour pouvoir à la fin de la messe nettoyer le calice, ce qui me donnait l’occasion d’en boire les dernières gouttes de vin. Puis, nous rentrions à la maison. Souvent, il y avait un invité : le prêtre de la paroisse, ou parfois bonne-maman, la maman de papa. Nous prenions l’apéritif pendant que papa regardait l’émission « Faire le point » et que maman préparait le dîner. Au début, pour les enfants – nous sommes 5 frères et sœurs – il s’agissait de cidre. Les parents quant à eux buvaient du Martini, avec « une larme » de gin. Progressivement, et déjà avant la fin de l’école primaire, j’ai moi aussi eu droit au Martini, seul dans un premier temps, agrémenté de gin par la suite. Lorsque nous passions à table, il y avait du vin. J’avais droit à « 1 doigt ». Bien vite, ce fut beaucoup plus : j’aimais cela, j’en redemandais. J’étais assise à table à côté de papa. Le service du vin était son domaine. C’est lui seul qui servait. C’est donc lui qui me resservait, quand je le demandais. Avec le recul, je peux dire que déjà à l’époque je souffrais d’alcoolisme. J’étais incapable de me satisfaire de la quantité qui m’était donnée, et j’en demandais plus, usant de différentes stratégies pour y parvenir : séduction, mensonge, contre-vérité,… Tout était bon. Les après-midi se déroulaient invariablement de la même manière : j’avais trop bu, j’étais somnolente et restais dans mon lit, avec une migraine qui arrivait peu à peu. Le tout dans une confusion totale : un mal être profond joint au plaisir d’avoir vu papa s’occuper de moi, en me servant à boire…
Aussi loin que remonte mes souvenirs, l’alcool a toujours été présent à la maison. Le soir, nous, les enfants, mangions avant que papa ne rentre du bureau. A son retour, nous devions disparaître, parce que, nous disait maman, il était fatigué et avait besoin de calme. Pour se détendre, chaque soir mes parents buvaient du vin blanc avec leur repas, puis du vin rouge avec le fromage. J’ai toujours vu ces 2 bouteilles de vin. Jamais cependant je n’ai vu mes parents ivres : le vin faisait partie du quotidien, comme moyen de se détendre après des journées bien chargées, papa au bureau, maman avec nous 5. Il m’est impossible d’évaluer la quantité consommée : 2 bouteilles ouvertes en permanence, sur lesquelles on met un bouchon, les rangeant sur l’appuie de fenêtre jusqu’au souper du lendemain, avant d’en ouvrir de nouvelles lorsqu’elles sont vides.
Chaque soir, après le souper, mes parents buvaient du porto, et papa aussi quelques petits verres de gin. Maman gardait les bouchons, qui, disait-elle, pouvaient toujours servir : j’ai en mémoire les boites remplies de ces bouchons de porto, témoignant de nombre de bouteilles vidées. Lorsque je suis entrée à l’école secondaire, j’ai changé de statut à la maison : je n’étais plus dans les petits, j’avais rejoint les grands. Je n’étais plus obligée d’aller dormir dès le retour de papa, je pouvais attendre en chemise de nuit au living que mes parents aient fini de manger. Et dès ce moment, j’ai moi aussi eu mon verre de porto, le soir, avant d’aller dormir. La consommation est dès lors devenue quasi quotidienne, même si en faible quantité. J’étais adolescente, et le vin ou le porto était pour moi signe de valorisation, signe que je devenais grande, signe que j’avais une place.
C’est à cette époque que les difficultés ont commencé, sans que je sache que l’alcool en était responsable. C’est quelque chose qui n’a jamais été évoqué. Lors des fêtes, Noël, communion, … je buvais plus. Et le lendemain, c’était la catastrophe. On me disait à l’époque que j’avais trop mangé et que j’avais une crise de foie parce que je ne digérais pas le chocolat. Cela durait 36 heures. Vomissement, d’abord de ce qui avait été avalé au cours du repas, puis, une fois l’estomac vide, de la bile, dont le goût acre me reste encore en bouche aujourd’hui. Sueur froide, tremblement, étourdissements,… Je ne pouvais rien faire, que rester couchée, courir aux toilettes pour vomir régulièrement, profiter d’un court temps de répit avant de recommencer. C’était atroce. Tous à la maison en ont été témoin. Il y a même eu de l’humour disant qu’il était un comble d’avoir une « crise de foi » (et non « foie ») le lendemain de ma communion ! Mais personne ne s’est jamais inquiété de cela.
J’ai poursuivi toute mon adolescence comme cela. Avec en plus du dimanche, le samedi soir où mes frères ramenaient leurs copains scouts manger à la maison. Là, j’ai découvert le plaisir de boire de la bière avec le steak – frites. Comme le dit Brel, « chez ces gens-là,… » On était des gens bien : ni Stella ni Jupiler, mais Carlsberg au rendez-vous. Comme il était normal d’aller dormir après le souper, ma surconsommation passait inaperçue. J’avais juste une barre dans le crâne au matin, que je cachais soigneusement. Il y a aussi eu les premières soirées dansantes, où les quelques bières avalées me donnaient de l’assurance. Et puis les voisins, chez qui je me sentais si bien : c’était un brasseur livrant tous les cafés, hôtels et restaurants de la région. Je travaillais chez eux tout l’été, bénévolement, buvant à volonté, parvenant juste à limiter les dégâts pour que cela passe inaperçu quand je rentrais à la maison.
Puis est venu le temps des études. Mes parents voulaient que j’aille à l’université, alors que ce n’était pas mon choix. Mais en acceptant d’y aller, cela me permettait de quitter la maison, et de vivre ce que je croyais être la liberté. Dès mon arrivée, j’ai été dans les cercles étudiants. J’ai été accueillie par les plus anciens. Et j’y ai trouvé une place. J’ai participé à toutes les soirées possibles, à tous les concours. Je me souviens n’avoir été « que » vice-reine des bleuettes : vexée et déçue de voir qu’il y en avait une qui buvait mieux, plus et plus vite que moi, j’ai décidé de m’améliorer. N’ayant pas d’argent pour financer les bières, je travaillais dans les bars étudiants, où je pouvais boire à l’œil : tous les midis et en soirée : 2 soirs par semaine de 20h à 4h du matin, un soir de minuit à 8h du matin. En plus, il était de tradition de piquer dans la caisse : tant que ce n’était pas trop, cela ne posait de problème à personne. En faisant cela, je continuais la spirale dans laquelle j’étais entrée : les soirs où je ne travaillais pas, je pouvais sortir et boire. Les souvenirs de l’époque sont tout sauf des souvenirs heureux : des bagarres pour avoir plus à boire, des comportements de tout ordre pour accéder aux postes qui permettront de boire gratuitement, des réveils au petit matin au fond d’un fossé, n’ayant pu retourner jusque chez moi en fin de soirée… Mais toujours cette impression que je menais la belle vie, que j’existais, et surtout que je choisissais, que je contrôlais et que j’étais forte, voire la plus forte. Malgré le fait d’être malade, malgré le goût amer de certaines scènes vécues, je recommençais le lendemain. Convaincue que j’arrêterais quand je le voudrais, puisque ce n’était pas tous les jours.
Effectivement, j’ai pu petit à petit sortir du milieu guindaille étudiante. Après 3 ans et sans aucun diplôme, j’ai quitté l’université pour commencer les études que j’aimais : institutrice primaire. La présence au cours obligatoire m’a amenée à changer de rythme de vie. Je suis progressivement rentrée dans le rang, j’ai fortement diminué ma consommation d’alcool et les guindailles, et je suis redevenue conforme à ce qu’on attendant de moi : une jeune fille bien, bonne à marier. Ce que j’ai fait, avec de surcroit un homme correspond presque parfaitement au profil attendu par mes parents. Dès le début de ce mariage, j’ai reproduit ce qui était vécu par mes parents, sans m’en rendre compte. La bière a disparu, je n’allais plus dans les cafés, mais je buvais du vin à la maison. J’ai heureusement eu suffisamment de lucidité pour ne pas en consommer pendant mes deux grossesses et ne pas laisser boire mes enfants. Mais cela a certainement renforcé l’image que j’avais de moi : femme forte, plus forte que l’alcool. Mon mari, tout en dénonçant régulièrement cette surconsommation, l’a entretenue. Il a acheté, à plusieurs reprises, du vin de mauvaise qualité et en grande quantité. Nos voisins s’en moquaient même lorsqu’ils venaient chez nous : notre « Merlot bulgare » était devenu légendaire. Je me souviens du jour où, profitant d’une promotion, il en a ramené 12 douzaines à la maison : 144 bouteilles. Comment me rendre compte que je bois trop, quand il y a toujours des bouteilles à disposition ? J’évacuais rapidement les vidanges, et puisais allègrement dans les réserves, sans que jamais personne ne remarque rien d’anormal.
Après 16 ans de vie commune, et une insatisfaction permanente me poussant inconsciemment à me lancer dans des projets toujours plus exigeants, le divorce est apparu, brutal. Les signes avant-coureurs étaient là depuis plus de 2 ans, mais ni mon mari ni moi n’avions voulu ou pu les voir. Je terminais alors des études en cours du soir qui m’ont enfin donné confiance en moi. Même si les cours se terminaient régulièrement par un passage en groupe au café, l’alcool y était joyeux, et, me semblait-il, sans excès.
Me retrouvant seule, j’ai retrouvé le même vent de liberté que celui qui m’accompagnait lors de mon entrée à l’université. J’avais 39 ans, un appétit de vivre, et tout semblait s’ouvrir à moi. Les stratégies pour me cacher à moi-même les quantités d’alcool ingurgitées étaient bien rodées : « S’il y a des glaçons dans le verre, il y a peu de Martini, je peux donc me resservir autant de fois que je le souhaite. » A ce moment, j’étais rarement ivre, même si mon esprit était souvent embrumé. J’avais un nouveau travail, obtenu grâce à ma formation complémentaire. Je me suis intégrée dans une équipe sympathique et dynamique, et souvent nous allions manger ensemble à midi. J’étais le bout en train, celle avec qui on a plaisir à sortir. Sur ma suggestion, nous commandions systématiquement des pichets de vin, même si j’étais quasiment la seule à en boire, en tout cas plus qu’un verre. Mais là encore, socialement, cela passait bien. Et jamais je n’ai été incapable de travailler l’après-midi. Cependant, la consommation augmentait insidieusement : en plus du soir, il y avait désormais le midi.
Après 18 mois de cette vie de fête, j’ai rencontré celui avec qui j’ai cru que j’allais couler des jours heureux pour toujours. Retour à l’image du prince charmant, bien concoctée par une éducation dont je pensais m’être affranchie. A nouveau, je suis rentrée dans le rang. Et j’ai reproduit le modèle familial, de manière encore plus caricaturale peut-être, dans la soumission à celui qui est rapidement devenu mari. Dès le début, il a remarqué que je buvais trop. Je ne pouvais l’entendre, je ne pouvais accepter ce qu’il disait. Pour que je réduise ma consommation, il s’est mis à boire lui aussi, l’accord étant qu’on n’ouvrait qu’une bouteille par jour. Un jeu malsain s’est alors développé où j’ai accepté de perdre une part de moi-même, me conformant à ce qu’il attendait de moi en dehors de l’alcool : épouse disponible aimante, prenant en charge ses enfants en plus des miens, et acceptant à certains moments de moins m’occuper de mes enfants pour être toute à lui.
Cela aurait pu continuer longtemps. Mais j’ai eu la chance de trouver sur ma route un groupe thérapeutique, et un thérapeute qui a pu voir clair en moi, tout en me laissant libre. Je crois que c’est cette liberté qui m’a donné la force de choisir d’en sortir. Je pense que ces moments resteront gravés en moi.
Je me revois, la veille du séjour. C’était à Avignon. J’étais arrivée en train, et y passais la nuit seule avant de rejoindre le groupe. Je n’ai jamais su faire face à la solitude. Elle m’angoisse. J’ai donc été manger, seule, et j’ai bu du vin rosé. Beaucoup de vin rosé. Puis j’ai quitté le restaurant, pour aller ailleurs et continuer. Je suis rentrée à mon hôtel sans savoir comment. J’en garde un trou noir. J’ai été malade, tout en passant en revue dans un brouillard sans nom les derniers mois de ma vie. Mais le lendemain, j’ai encore réussi à faire bonne figure. Une bonne dose de maquillage a caché les traits barbouillés. Je me suis mise en route, rassurée au fond de moi : je savais qu’il était convenu que lors de notre séjour, tout alcool est interdit. Et voilà qu’à notre arrivée, contre toute attente, nos hôtes nous accueillent, avec le verre de l’amitié, du vin blanc. L’horreur : la pompe est à nouveau amorcée, je ne sais pas ne boire qu’un seul verre, c’est plus fort que moi. Je me ressers, une fois, deux fois, trois fois. Le thérapeute l’a vu, et dans sa bienveillance, n’a rien dit. Ce n’est qu’au fil du travail réalisé tout au long de la semaine que petit à petit j’ai pu prendre conscience de l’ampleur du problème et mettre des mots sur quelque chose que jusque là j’avais refusé de voir : je suis alcoolique !
Le déclic étant réalisé, la femme forte que je crois être décide de faire face. Renseignements pris, il n’y a qu’une seule solution : désormais, refuser toute prise d’alcool, sous quelque forme que ce soit. Je trouve un médecin spécialisé dans les problèmes d’alcool qui m’explique les processus qui y sont liés. Une seule consultation, et les choses me semblent claires. Je prends contact avec un autre médecin, nutritionniste, me disant qu’autant faire d’une pierre deux coups, et en profiter pour régler un problème de surpoids récurant tout en recevant des conseils pour faire face à l’abstinence. Je poursuis également mon travail thérapeutique individuel, pas à pas.
Mais alors que de partout, on me conseille de rejoindre les AA, mon mari s’y oppose. D’une part, il a très mal vécu que ce soit auprès d’autres que lui que j’ai constaté mon alcoolisme : cela réveille en lui une jalousie qui est bien présente dans notre relation depuis notre rencontre. D’autre part, cela met à mal l’image qu’il a de moi. Il est fier de moi, parle de moi autour de lui, de ce que je réalise, de ce que je fais. Comment évoquer à l’extérieur l’image d’une femme alcoolique, qui fréquente les AA, et par ce bais des gens de toute condition sociale ? Enfin, il est convaincu que cela va passer, et qu’un jour je pourrai à nouveau boire, modérément, parce qu’il vit mal d’être seul à boire un bon verre lorsqu’on est au restaurant ou à la maison avec un bon repas. Je cède à sa demande, et ne rejoins aucun groupe. Plus forte que jamais, je gère seule. Il y a des bouteilles dans la maison, il y en a à table, et plus jamais je n’y touche. Je me crois invincible, face à ce problème que je considère comme désormais réglé.
L’alcoolisme reste une blessure dont je ne mesure pas encore l’importance, tant dans ma vie personnelle qu’au sein de mon couple, avec entre autres les phénomènes de co-dépendance qu’il génère. Je ne vis plus dans le brouillard constant lié à l’alcool. Cela ne me permet cependant pas de mettre des mots suffisamment clairs sur ce que je vis : depuis toujours, j’ai eu des difficultés à cerner ce qui est juste ou non, bon ou non, que ce soit pour moi ou de manière globale. Les notions de bien ou de mal se sont dès lors construites sur des bases extrêmement fragiles, à partir de mon enfance où l’alcool et ses effets collatéraux étaient bien présent. Afin de garder le cap par rapport à des valeurs de droiture, d’honnêteté, d’engagement qui font sens pour moi, j’ai souvent adopté dans ma vie des attitudes rigides. En me mettant des règles strictes et en les imposant à mon entourage, je pense avoir tenté de trouver un soutien là où mon cadre interne ne s’était pas suffisamment développé.
Au fil des mois, la situation se dégrade au sein de mon couple. Nous nous enfonçons progressivement. Cette fois, ce n’est plus comme lors de mon premier mariage. Mon esprit est désormais plus clair et je perçois certaines choses, sans pour autant parvenir regarder la situation en face ni avoir des attitudes et des propos clairs et cohérents avec la gravité de celle-ci. Je reste dans ma logique de femme forte, qui veut tenir bon et reconstruire. Jusqu’à ce que je craque. Cet été, confrontée à la jalousie qui débouche sur de la violence, je me rends compte que je suis à bout. Je n’en peux plus. Si je veux sauver ma peau, je dois à nouveau partir, quitter cette vie de couple où je m’enferme et où à tout moment, vu la pression qui règne, je risque de replonger dans l’alcool.
La chance, quelque que soit le nom qu’on peut lui donner, met sur ma route un alcoolique abstinent depuis 20 ans, qui fait partie des AA. Une porte s’ouvre à moi. Avec lui, je regarde le site Internet. Il me laisse son numéro de téléphone ainsi que celui de son épouse, et j’entre ainsi dans la grande chaîne des AA. J’ose téléphoner un soir à la permanence. Je me sens écoutée, comprise : je suis sur le point de craquer, et mon interlocuteur, loin de me juger, me soutient. Je reçois les coordonnées d’un groupe et je prends la décision de le rejoindre. J’ai peur de franchir cette porte. Je m’y prépare en faisant une reconnaissance de terrain : je viens la veille pour voir où se tient la réunion, pour trouver mes premiers repères. Et le jour de la réunion, au moment où j’arrive, un des habitués est à la porte en même temps que moi. Il m’accueille, je passe la porte, avec la sensation un peu grisante qu’une nouvelle étape commence.
C’était il y a 2 mois. Depuis, tout a changé. Je peux enfin lâcher prise. Je ne dois plus être forte toute seule. Il y a des amis qui sont là, qui m’ont accueillie, qui m’attendent chaque semaine. Avec eux, j’apprends petit à petit à comprendre cette maladie. J’ai compris que je ne suis coupable de rien. J’assume mieux ma responsabilité de gérer cette maladie. Mais surtout, je commence à comprendre les implications qu’elle a eues et qu’elle a encore aujourd’hui dans l’ensemble de ma vie. Rien n’est gagné. Cependant, 24 heures à la fois, j’apprends petit à petit à être un peu plus bienveillante envers moi-même, à redécouvrir des émotions enfouies profondément, à reconnaître mes difficultés, mon épuisement. La route est encore longue, et, même si je ne le vis pas encore comme cela aujourd’hui, je sais désormais, grâce à ceux que je côtoie, qu’il est possible d’être alcoolique, abstinent, et heureux !
Témoignage de J.
L'Escholle Dominicale Pour Les Pauvres
Adulte sans avenir, homme sans présent, quel était le sens de ta vie ?
Des gens inquiets t'avaient pourtant invité à chercher un sens à ta vie ténébreuse pour la relever d'une manière radicale...
Et toi, tu ne les as pas entendus... Tu voulais être seul... Tu ne voulais pas d'aide... Tu voulais être Dieu... Un orgueil turpide et implacable t'empêchait de te réaliser...
Qu'attendais-tu ?
Encore fallait-il qu'un jour, tu puisses rencontrer des gens, semblables à toi, tous solidaires dans la recherche d'un sens nouveau à l'Existence...
Par un beau jour du mois de mai 1986, l'Escholle Dominicale Pour Les Pauvres t'a ouvert ses portes et sa philosophie et tu as enfin entrevu la possibilité de te trouver un mode d'emploi valorisant pour cette effroyable vie que tu voulais laisser là, comme on abandonne un lourd fardeau le long d'une route que l'on n'a plus envie de parcourir...
Tu avais bien hésité à gravir cet escalier rempli de demi-jour... Cette lumière était le reflet de ton âme, hésitant entre acceptation nouvelle et fuite habituelle...
Tu en as éprouvé des difficultés pour monter cet escalier... Souviens-toi de nombreuses et affligeantes hésitations...
Pourtant, là, tout en haut, un nouveau monde t'attendait... Un univers tout empreint d'écoute et de tolérance.
L'Escholle était donc bien pour toi... Tu étais bien pauvre dans ta tête, dans tes actes, dans tes valeurs... L'Escholle n'était plus dominicale depuis bien longtemps déjà... Alors, elle est devenue pour toi l'Escholle du mardi...
Alors, ce mardi est devenu le jour le plus important de ta semaine... Le jour sur lequel s'appuient toutes tes réflexions, toutes tes actions et toutes tes communications... C'est devenu un peu ton dimanche, en quelque sorte ton jour sacré...
C'est le jour de la semaine où l'amitié la plus vraie règne en maître. C'est à ce moment que sont construites les relations humaines les plus fortes, les plus chaleureuses... Tu sais, ces amitiés sur lesquelles on peut toujours compter... Combien de fois les as-tu appelées à la rescousse quand tout allait mal, quand tu ne savais plus où aller, quand tu n'en pouvais plus, quand la Vie t'abandonnait à nouveau ?
Tu y as trouvé aussi du réconfort... Qu'il est bon de ne pas se sentir seul face à l'adversité et à la maladie ! Non, tu n'étais pas victime d'une sordide tare... Tu étais seulement malade... Et cela, tu l'as admis en fréquentant cette Escholle chaque semaine... Il t'en aura fallu du temps pour comprendre le message de l'Escholle, celui de l'acceptation d'une maladie... Quatre ans durant, tu t'es battu contre un ennemi implacable qui ne te laissait aucune chance de le vaincre... Tu as finalement accepté de capituler devant lui... Et vos vies se sont enfin séparées pour qu'enfin tu puisses vivre libre...
Durant un an, tu as fréquenté de manière régulière et sereine l'Escholle... Et puis, le moment est venu, non pas d'abandonner cet enseignement, mais d'ouvrir une autre Escholle, bien plus hospitalière encore... Te souviens-tu encore de ce premier jour dans ta nouvelle Escholle ? Il y avait là Henri, Michel, Agnès, Albert et Georges... Mais tu n'oubliais pas les fidèles amis de l'autre Escholle... Madeleine, Emile, Marie-Paule et tous les autres humains bienveillants à qui tu devais ton salut...
Dans cette nouvelle Escholle, tu as tracé les voies nouvelles d'une existence retrouvée... Tu y as préparé ton mariage, tu y as trouvé l'apaisement nécessaire lors du décès de tes parents, tu y as confié ta joie d'être père... Et les jours ont succédé aux jours et les années aux années... Des jours toujours plus riches grâce aux nouvelles rencontres, aux nouvelles réflexions... Des joies et des peines adoucies par une bienfaisante philosophie stoïcienne...
Ton aventure en cette Escholle est bien loin d'être terminée... Pourquoi donc l'abandonnerais-tu ? Elle guide ta vie de la manière la plus humaine qui soit...
Enfin garde dans ton coeur, ce petit poème sur l'Amitié... Il a été écrit par ton amie Lutgarde en 2000, quelque temps avant de quitter l'Escholle, emportée par la maladie...
L'Amitié
Quand votre vie se trouve bouleversée,
par une imprévisible déchirure,
vous constatez que la destinée,
n'a ni contrôle ni mesure.
Vous souffrez de l'impuissance,
de n'avoir pu empêcher le drame
qui sans donner la moindre chance
vous laisse le coeur trop plein de larmes.
Heureusement, il y a les amis
qui vous tendent la main
et vous guident vers une clarté sereine.
Ils sont nombreux,
chacun à leurs façons toutes gentilles.
Ces personnes compréhensives,
qui ne songent qu'à vous aider,
à retrouver une route positive.
L'amitié est un sentiment honorable,
qui apporte un grand réconfort,
un apaisement, une raison valable.
Il ne faut pas garder pour soi,
une tristesse qui vous rend malheureux.
En parler simplement je crois,
déclenche une amitié vraiment sincère.
Témoignage de Jean-Jean
TEMOIGNAGE DE JEAN-JEAN.
Mon éducation a été celle de la performance, d’avoir plus tard un beau métier et une belle situation, donc jamais de laisser-aller ni de grasse matinée, encore moins de sieste, mais bouger, être toujours actif.
Logiquement après les humanités, j’ai été à l’université pour faire du « haut de gamme » comme voulu par mes parents.
Ma vie alors, c’est la pression des horaires,du blocus, des examens, …mais aussi le goût de la fête permanente, des guindailles à n’en plus finir. Oh, je tiens très bien la bière qui coule à flot, je peux donc boire jusqu’à plus soif et je suis capable de me lever le lendemain et d’étudier comme si de rien n’était et même de faire un petit jogging matinal.
Je suis un buveur festif et excessif.
Plus tard, dans ma vie professionnelle, dans un milieu où l’on boit traditionnellement beaucoup et sans vergogne, la bière et le vin m’aident à tenir le coup, à me lâcher du stress de la journée, et moi qui suis d’un naturel effacé et timide je me libère sous l’influence de ces doux liquides, je suis « cool »face au rythme effréné de la vie, je suis le roi, tout m’appartient.
Je suis passé du stade d’alcoolique social au stade de la chronicité.
Après un accident de la route, le jour de mon anniversaire trop bien arrosé avec les copains, je décide de faire une pause : plus une goutte d’alcool ; je tiens 3 semaines et craque. Bah, la vie continue. Je stoppe la bière et le vin rouge, passe au rosé, puis enfin au blanc, car je commence à ressentir de petits ennuis gastriques et intestinaux.
Quelques années plus tard, arrive le temps de la retraite…mal préparée faute de temps et surtout de visée à long terme. Je soigne mon ennui, ma nostalgie, ma dépression larvée en buvant de plus en plus, du matin à tard le soir .Je courre à ma perte, je le sais mais je m’en fous.
Je suis alcoolique et en suis malade.
Une conjonction d’évènements accélère la dégradation de ma situation qui passe de triste au tragique : lors d’une fête, je m’écroule mort saoul devant l’entièreté de ma famille réunie, on m’interdit de véhiculer mes petits-enfants et j’écrase néanmoins ma voiture contre une autre ; je me déteste, je suis déshonoré.
Présenté à la justice et mis à l’épreuve 3 ans par le juge, je me suis engagé à entamer un traitement médical de sevrage et à fréquenter assidûment un groupe AA. Ce n’est pas facile, je suis déboussolé, désorienté, j’ai oublié mes codes d’accès, je ne suis plus rien. Je passe la porte du local de réunion, moment difficile.
Puis le travail par étapes, l’assiduité à ces réunions des AA, les différents thèmes abordés favorisent le relèvement, les problèmes se résolvent un à un, la famille récupère la brebis galeuse, les amis reviennent, les jours toujours meilleurs se succèdent. C’est le cadeau offert par l’abstinence, renforcée de semaine en semaine par mon groupe AA qui a tenu sa promesse de me faire recouvrer une santé physique, mentale et psychologique, les occasions de replonger sont quotidiennes mais je tiens bon depuis quelques 24 heures. Merci les AA !
Je suis abstinent.
Lettre à l'alcool, Serge Regiani
Lettre à l'alcool (Serge Reggiani) cliquer ici vidéo
A l’alcool
Alcool tu m’as fait payer ton prix
Je ne parle pas de monnaie sonnante et trébuchante
J’ai été sous ta coupe, j’ai subi tes exigences,
J’ai failli te donner ma vie.
Je sais qu’il existe une issue
Et une seule à cet enfer qu’on appelle l’alcoolisme
Et qu’il vaudrait mieux appeler maladie alcoolique
Satanée bouteille te vider n’apporte rien
Les éléphants roses n’existent pas
l’ivresse n’abrite que les noirs serpents de la douleur et de la déchéance
On boit pour une seule raison
Pas pour oublier qu’on boit
Comme ce personnage du Petit Prince
Mais pour oublier tout le reste et échapper à la dépression
L’alcool est un euphorisant
Qui empêche de craquer
Je le sais, je l’ai vécu et je l’ai chanté dans « chanson de Paul », l’histoire d’un homme qui se remet à boire malgré ses promesses, parce qu’il est dépressif
« je bois aux femmes qui ne m’ont pas aimé,
aux enfants que je n’ai pas eus,
mais à toi qui m’a bien voulu
Je bois … « etc. ….
Le salaud qui mérite une lettre c’est toi saloperie d’alcool ,
Tu repousses la déprime,
Mais le réveil n’en est que plus douloureux.
Pas à cause de la gueule de bois,
Mais parce que la chute est terrible.
Il faudrait rester imbibé d’alcool en permanence
Pour ne jamais revenir à la réalité.
Alors, la mort serait vite au rendez-vous
L’alcool est une forme de suicide.
Le seul vrai conseil à donner est que ça vaut la peine de s’abstenir,
Le plus difficile est de prendre la décision,
Ensuite tout coule comme de l’eau.
Je ne bois plus que ça d’ailleurs
Et je redécouvre la vraie vie
Je ne peux oublier que l’alcool a tué mon ami Michel Auclair :
Sauvé de justesse d’une embolie pulmonaire, une larme d’alcool lui a été fatale.
On demandait un jour à Jacques Prévert pourquoi il ne buvait plus,
Lui qui aurait vendu son âme au diable pour un bon mot répondit :
« parce que j’ai tout bu »
C’était une boutade.
Prévert ne buvait plus parce qu’il voulait vivre.
Tout simplement.
J’ai été sauvé par mes docteurs,
J’ai été sauvé par ceux qui m’aiment
Moi aussi je veux vivre.
JE VEUX VIVRE
Serge Reggiani,
Chanteur abstinent.
Anonyme
Souvenir du 21 septembre 2016.
Trois nombres à l'honneur ce soir pour Henry : 70,40,25!
70, c'est d'abord l'âge respectable et respecté de notre Henry que l'on fête aujourd'hui. Bonne fête anniversaire, Henry.
40 ans, c'est surtout 40 x 24 heures, soit 14600 jours d'abstinence du même Henry, bravo, bravissimo.
25 ans, c'est son oeuvre qu'il a créé le 08 janvier 1991 avec 4 autres camarades, il s'agit bien sûr du groupe AA de Sainte Elisabeth.
Henry peut sereinement braquer un rétroprojecteur sur ces 25 dernières années, contempler une oeuvre vivante qui est la pérennité du groupe, en vérifier sa vivacité et la fidélité de ses membres notamment aux réunions hebdomadaires.
La vie au-delà de ces 70, 40, 25 premières années sera sans nul doute encore très chouette, digne d'être vécue et réservera pour les potes présents et ceux à venir beaucoup de joie et de bonheur dans une abstinence renforcée d'ailleurs par les agréables réunions.
AA dans le monde: plus de 80 ans d'existence! Mais 25 ans à Ste Elisabeth, c'est remarquable. 25 ans de vie à donner à d'autres la liberté et la paix dans l'abstinence plutôt que dépression et désespoir engendrés par l'alcool, il fallait le faire!
Dans 5 ans, par exemple, la somme de ces 3 anniversaires sera de 75+45+30 = 150 soit un siècle et demi ! Rendez-vous est d'ore et déjà pris!
Merci Henry, continue encore de très nombreuses 24 heures à être présent et actif parmi nous en distillant avec discrétion, ici et là, de précieux conseils acquis par ta grande expérience.
Joyeux et Bon (triple) anniversaire.
(anonyme)
Luc nous raconte son parcours
Je pense que comme Obelix, je suis tombé dedans quand j’étais petit, le problème, c’est que l’alcool n’est pas une potion magique mais bien un poison mortel quand on perd le contrôle de sa consommation.
Je ne cherche pas le pourquoi de ma maladie, mais constate simplement que si je fais un travelling arrière sur ma vie, mon premier verre, je l’ai bu à 5 ans… Une grand-mère m’a fait gouter de la bière, pour casser l’amertume, 1 sucre ou deux et là un sentiment de bien-être s’empare de moi. Tous les soucis d’un gosse de 5 ans s’envolent (parce qu’a 5 ans j’en avais, parents quasi inexistants), je me sens planer, insensible à tout ce qui m’entoure.
A 7 ans, rebelote, lors du mariage d’un cousin, je me tape tous les fonds de verres, tout le monde rit autour de moi, quoi de plus marrant que de voir un gosse de 7 ans bourré…
Voilà, pour moi le processus est engagé, alcool sans tabou, peu de restrictions dans la famille, je commence à boire le whisky du père en cachette, juste un petit capuchon, qu’on ne voie pas trop la baisse de niveau…
Ensuite vient la communion solennelle, t’es un grand maintenant, tu peux boire du vin…
Viennent alors les études à l’école hôtelière, là, l’alcool coule à flot, je trouve donc que pour mon métier il est normal de déguster, de goûter les bonnes choses et là toujours très peu de tabou et cela continue jusque l’âge de 41 ans, faites le compte…
Consommation illimitée pendant au moins 25 ans puis un beau jour, le premier geste de la journée est de prendre une bière dans le frigo en se demandant pourquoi… Mais on la boit quand même …, j’en suis arrivé je pense au point de non-retour, juste une chose ne semble plus compter pour moi « MA CONSOMMATION »… Aurais-je assez pour ma journée, il y aura-t-il de l’alcool là où je me rends, je sais que si il n’y en a pas, je vais me sentir très mal…
Les problèmes de santé commencent à se faire sentir (dépression, crises de foie…), mon épouse n’en peut plus, elle appelle le médecin, je retéléphone au médecin que cela ne sert à rien qu’il vienne, que je suis en pleine forme, cris larmes, envie de m’enfuir, de m’exploser contre un arbre avec la voiture…, on réussit à me piquer les clés, le médecin arrive.
Chance pour moi, le médecin a un ami alcoolique qui fréquente les AA, il m’explique que c’est une maladie, ce que je risque si je continue…, non seulement me foutre en l’air mais aussi tout mon entourage, mon boulot, tout quoi…
4 jours de réflexion et là l’envie d’en sortir : cure d’une semaine à Sainte-Elisabeth.
Avant de prendre la route pour la clinique, vite vider la bouteille de rouge, je pense que je vais être à sec. Batterie d’examens le mardi et, le mardi vers 18h30, Henri, un illustre inconnu franchi la porte de ma chambre, me disant qu’un groupe AA existe et que je peux obtenir de l’aide.
J’accepte, mieux sans doute que de s’ennuyer dans une chambre d’hôpital.
19H20, le moment de me rendre à la réunion, une porte à franchir et là, découverte d'un groupe chaleureux, prenant le temps de m’expliquer la maladie.
Ma décision est prise, j’arrête, en fait, si je suis à la clinique, c’est pour me soigner.
21h15 retour dans ma chambre et visite du médecin qui avait attendu que la réunion se termine, une question qu’avez-vous décidé Monsieur ? « J’arrête tout docteur », celui-ci me répond « sage décision, vous n’en avez plus que pour trois mois à vivre ».
Juillet 2011, je suis en pleine forme, sans alcool, j’ai pleins d’amis (j’en avais plus) de vrais amis qui prennent le temps de m’écouter et qui me donnent des suggestions, je suis libre, libéré de l’alcool et libre tout court.
A ceux qui ont pris le temps de me lire, si comme moi, l’alcool vous fait souffrir, n’hésitez plus une seconde, venez nous rejoindre.
Ce témoignage est ce que j’ai sur le cœur, il est spontané, pas envie de relire, sinon je ne risque pas de le mettre en ligne.
Je vous demande de la gratitude si j’ai oublié des fautes
L. alcoolique abstinent et heureux de l’être